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Phyllis Chesler

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« En fait, nous devons être meilleures. » Conversation avec Phyllis Chesler.

Mar 23, 2022

Les Glorieuses

Phyllis Chesler a 81 ans. Elle est écrivaine, psychothérapeute ; elle est notamment reconnue pour avoir participé à ce qu’on appelle la « deuxième vague » du féminisme aux États-Unis aux côtés de Gloria Steinem ou encore Betty Friedman. Il y a vingt ans, elle a écrit une série de lettres destinées à la jeune femme qu’elle était ou aux jeunes féministes ou aux futures jeunes féministes. Comme elle l’écrit dans la préface : « Par le passé, Nicolas Machiavel a écrit une lettre comme la mienne à un prince, Sun Tzu à un roi, Virginia Woolf à un gentleman, Rainer Maria Rilke à un admirateur. Cette lettre est pour toi. » Ce recueil de lettres, Lettres aux jeunes féministes, est aujourd’hui publié en français aux Éditions du Portrait. Il est traduit par Caroline Nicolas et Camille Nivelle. Pour la clarté du propos, la conversation a été éditée.

Rebecca Amsellem – Certains éléments semblent inchangés – c’est en cela que ce recueil donne un peu le tournis. Je pense un exemple : « le deux poids deux mesures ». Vous dites, « même quand homme et femme font exactement la même chose, rien n’a le même sens. Le père qui change une couche est souvent vu comme un héros ; ce n’est pas le cas de la mère qui, après tout, ne fait que ce qu’on attend d’elle ». Que vous inspire cette immuabilité ?

Phyllis Chesler – Les femmes ne sont pas récompensées pour faire ce que nous sommes censées faire, mais nous sommes punies si nous ne le faisons pas. Et nous ne sommes pas censées faire autre chose que ce que nous sommes censées faire. Et si nous le faisons, nous devons être dix fois meilleurs et sacrifier dix fois plus et avoir encore une vie professionnelle plus solitaire. Il y a eu des progrès, mais les batailles continuent. Toutes les batailles gagnées en une génération ne le sont pas pour toujours. Comme l’avortement, je n’aurais pas pu imaginer que ce droit soit remis en cause. Nous nous battons donc depuis l’adoption de Roe v Wade, et maintenant nous pouvons le perdre devant la Cour suprême américaine. L’engagement féministe demande une révolution successive et sans fin, une révolution de conscience, puis une révolution dans l’action. Nous devons continuer à transmettre. Nous devons continuer à faire passer le mot.

Rebecca Amsellem – On a l’impression, au travers de vos mots, que les féministes sont condamnées à échouer car les femmes ne sont pas éduquées, socialisées pour être victorieuses. Vous écrivez plus précisément que « Pendant des siècles les femmes ont été englouties et condamnées à une si forte obscurité que, semblable à des prisonnières, nous en sommes venues à craindre instinctivement la lumière ; elle est aveuglante, contre nature. Nous craignons de nous redresser, et quand nous nous y risquons, nous faisons de petits pas prudents, nous trébuchons et nous cherchons la protection de ceux qui nous ont emprisonnées. » Vous écrivez également, dans la lettre 4 : « Nous avons redécouvert ce que les féministes américaines savaient déjà au xixe siècle. » C’est le cas pour nous aussi. Sommes-nous condamnées à ce que chaque génération de femmes réinvente la roue ?

Phyllis Chesler – Le savoir féministe et l’histoire féministe ont volontairement disparu siècle après siècle, si bien que chacune d’entre nous a été obligée de le redécouvrir ou de le réinventer ou de réinventer la roue. Nous n’avons pas besoin d’une nouvelle analyse. Nous avons besoin d’une meilleure action. Mais pensez-y aussi de cette façon. Il y avait des gens qui se disputaient contre la guerre avant la Première Guerre mondiale, puis encore avant la Seconde Guerre mondiale. L’existence même de ces guerres montre que les connaissances acquises sur la gravité de la guerre ont été oubliées. C’est la même chose avec le féminisme. Dale Spinder a écrit un excellent livre, Women of Ideas and What Men Have Done to Them. Elle y cartographie, elle y documente la disparition systématique du savoir féministe.

Rebecca Amsellem – La sororité n’existe pas vraiment. C’est ce que vous affirmez, « En privé, nous agissions envers les femmes comme la plupart des autres femmes : nous les jalousions, rivalisions avec elles, les craignions et les traitions de façon ambivalente. Nous les aimions également, et nous avions besoin d’elles. Ma génération féministe a dévoré ses leaders. Certaines, particulièrement douées pour cela, le sont devenues à leur place. » Vous avez fait une étude sur la misogynie entre les femmes et entre les féministes, qu’elle en a été votre conclusion ?

Phyllis Chesler – De là est sorti un livre, Women’s Inhumanity To Women, publié en 2002. Chaque jour, il faut résister à l’intériorisation de la haine ou de la peur ou de la minimisation d’une autre femme. Et nous devons apprendre à dire à une autre femme quand elle nous a mis vraiment en colère, lui dire en face, ne pas se venger en retournant tout le monde contre elle. Nous devons laisser aller la colère. Nous devons travailler en équipe, et c’est quelque chose que la plupart des femmes n’ont pas l’occasion d’apprendre. Nous avons l’habitude d’avoir une Miss Amérique, une Miss Europe contre toutes les autres femmes. Une seule est choisie par le Prince dans un conte de fées. Je pense que l’intériorisation des opinions sexistes sur les femmes est quelque chose contre laquelle les femmes, en particulier les féministes, doivent lutter. Elles doivent en être conscientes. Donc, oui, les féministes ne se sont pas nécessairement comportées plus gentiment les unes envers les autres, mais le reste de l’humanité féminine non plus. Ce n’est donc pas que nous soyons pires. C’est que nous ne sommes pas différentes, alors que nous devons l’être. En fait, nous devons être meilleures.

Rebecca Amsellem – Pensez-vous que la nouvelle génération de leadeuses féministes est plus douée pour la sororité ?

Phyllis Chesler – Je pense qu’elles en ont davantage conscience.

Rebecca Amsellem – Qu’avez-vous écrit dans ce recueil il y a vingt ans sur lequel vous reviendriez aujourd’hui ?

Phyllis Chesler – Je pense que j’aurais tout gardé et juste essayé de le mettre à jour. J’espère que les féministes en France liront ceci et que cela les renforcera et les inspirera et leur donnera encore plus de sens à leur histoire qui, comme nous l’avons mentionné, disparaît constamment.

“In fact, we have to be better. » Conversation with Phyllis Chesler.

by Rebecca Amsellem (to follow me on Insta, it's there  and on Twitter, it's there )

Phyllis Chesler is 81 years old. She is a writer, psychotherapist; she is particularly recognized for having participated in what is called the “second wave” of feminism in the United States alongside Gloria Steinem and Betty Friedman. Twenty years ago, she wrote a series of letters aimed at the young woman that she was or at young feminists or future young feminists. As she writes in the preface: “In the past, Niccolo Machiavelli wrote a letter like mine to a prince, Sun Tzu to a king, Virginia Woolf to a gentleman, Rainer Maria Rilke to an admirer. This letter is for you. This collection of letters, Letters to Young Feminists, is now published in French by Éditions du Portrait. It is translated by Caroline Nicolas and Camille Nivelle. For clarity, the conversation has been edited.

Rebecca Amsellem – Some elements seem unchanged – this is why this collection makes you dizzy. I think of an example: “the double standard”. You say, “Even when man and woman do exactly the same thing, nothing has the same meaning. The father who changes a diaper is often seen as a hero; this is not the case with the mother who, after all, only does what is expected of her”. What does this immutability inspire in you?

Phyllis Chesler – Women aren't rewarded for doing what we're supposed to do, but we're punished if we don't. And we're not supposed to do anything other than what we're supposed to do. And if we do, we have to be ten times better and sacrifice ten times more and still have a lonelier working life. There has been progress, but the battles continue. All the battles won in a generation are not won forever. Like abortion, I could not have imagined that this right would be called into question. So we've been fighting since Roe v Wade passed, and now we can lose it in the US Supreme Court. Feminist commitment requires a successive and endless revolution, a revolution of consciousness, then a revolution in action. We must continue to transmit. We must continue to spread the word.

Rebecca Amsellem – One gets the impression, through your words, that feminists are doomed to fail because women are not educated, socialized to be victorious. More specifically, you write that “For centuries women have been engulfed and condemned to such strong darkness that, like prisoners, we have come to instinctively fear the light; it is blinding, unnatural. We are afraid to get up, and when we do, we take small, cautious steps, stumble, and seek protection from those who have imprisoned us. You also write, in letter 4: “We have rediscovered what American feminists already knew in the 19th century . century. This is the case for us too. Are we doomed to each generation of women reinventing the wheel?

Phyllis Chesler – Feminist scholarship and feminist history have willfully disappeared century after century, so each of us has been forced to rediscover it or reinvent it or reinvent the wheel. We don't need a new analysis. We need better action. But also think of it this way. There were people who argued against the war before the First World War, and then again before the Second World War. The very existence of these wars shows that the knowledge gained about the seriousness of war has been forgotten. It's the same with feminism. Dale Spinder wrote an excellent book, Women of Ideas and What Men Have Done to Them. She maps there, she documents the systematic disappearance of feminist knowledge.

Rebecca Amsellem – Sisterhood doesn't really exist. This is what you say, “In private, we acted towards women like most other women: we were jealous of them, rivaled them, feared them and treated them ambivalently. We loved them too, and we needed them. My feminist generation devoured its leaders. Some, particularly gifted for this, have become so in their place. You did a study on misogyny between women and between feminists, what was your conclusion?

Phyllis Chesler – Out of this came a book, Women's Inhumanity To Women, published in 2002. Every day, it is necessary to resist the internalization of hatred or fear or the minimization of another woman. And we have to learn to tell another woman when she really made us mad, tell her to her face, not get revenge by turning everyone against her. We have to let go of anger. We have to work as a team, and that's something most women don't get to learn. We used to have a Miss America, a Miss Europe against all the other women. Only one is chosen by the Prince in a fairy tale. I think the internalization of sexist views about women is something that women, in especially feminists, must fight. They must be aware of this. So, yes, feminists haven't necessarily behaved nicer towards each other, but neither has the rest of female humanity. So it's not that we're worse off. It's that we are not different, whereas we should be. In fact, we have to be better.

Rebecca Amsellem – Do you think the new generation of feminist leaders are better at sisterhood?

Phyllis Chesler – I think they are more aware of it.

Rebecca Amsellem – What did you write in this collection twenty years ago that you would come back to today?

Phyllis Chesler – I think I would have kept everything and just tried to update it. I hope that feminists in France will read this and that it will strengthen them and inspire them and give them even more meaning to their history which, as we mentioned, is constantly disappearing.

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